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V. 2
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PALÉOGRAPHIE MUSICALE
PALÉOGRAPHIE MUSICALE
LES PRINCIPAUX
MANUSCRITS DE CHANT
GRÉGORIEN, AMBROSIEN, MOZARABE, GALLICAN
PUBLIÉS EN FAC-SIMILÉS PHOTOTYPIQ_UES
par les Bénédictins de Solesmes
II
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SOLESMES
IMPRIMERIE SAINT-PIERRE
1891
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LE REPONS -GRADUEL
JUSTUS UT PALMA
REPRODUIT EN FAC-SIMILÉ
d'après PLUS DE DEUX CENTS ANTIPHONAIRES MANUSCRITS
d'origines diverses DU IX^ AU XVII® SIÈCLE
Res, non verba.
GREGORII MAGNI
CVIVS • SVPREMI • PONTIFICATVS
FESTA • SAECVLARIA
HOC • ANNO • CELEBRANTVR
FAVSTIS • PRODEANT • OMINIBVS
MEMORIAE • ET • LAVDI • SVCCEDANT
HEIC • DESCRIPTA • ET • INLVSTRATA
VETERA • SACRORVM • CONCENTVVM
DOCVMENTA
LE RÉPONS -GRADUEL
JUSTUS UT PALMA
REPRODUIT EN FAC-SIMILE d'après plus de deux cents antiphonaires manuscrits
d'origines diverses du ix^ siècle au xvii'^ siècle
PREFACE
Res, non verba.
Après V Antiphonale Missarum n° 359 de la bibliothèque de Saint- Gall, que nous avons reproduit en entier & qui forme le premier vo- lume de la Paléographie Musicale (première & deuxième année), nous donnerons pour le second volume plus de deux cents fac-similés d'une même mélodie, celle du répons-graduel Justus ut palma, empruntés à autant d' antiphonaires manuscrits d'âges & de pays différents.
En rapprochant ainsi les diverses manières dont les mélodies sacrées ont été, selon les temps & les lieux, traduites par l'écriture, nous pen- sons fournir à nos lecteurs un moyen prompt & facile de connaître, dans toute son étendue, la tradition musicale grégorienne.
Les témoins de cette tradition déjà tant de fois séculaire ne font pas défaut. Les antiphonaires, graduels & autres monuments notés du chant liturgique sont encore en grand nombre dans les bibliothèques. Il y en a partout & de toutes les époques. Ils sont même si nombreux qu'on ne peut songer à les reproduire tous, & nous ne tenterons pas une entreprise qui du reste n'est aucunement nécessaire. La reproduction intégrale de quelques bons manuscrits de provenances & d'écritures
Paléographie. II. i
PALÉOGRAPHIE MUSICALE
variées peut suffire aux archéologues pour se rendre un compte exact des diverses phases de la notation musicale, &, par là, de l'état de con- servation des mélodies grégoriennes à travers les siècles dans l'Occident tout entier.
La notation est le canal qui nous apporte la tradition grégorienne : au paléographe de constater si le courant a gardé sa pureté originelle, s'il n'a pas subi d'altérations dans son long parcours & dans toutes ses ramifications régionales.
Chaque phase de la notation musicale a son point de départ & son point d'arrivée. La publication de manuscrits appartenant à diverses sortes d'écriture, telle qu'elle se fait dans ce recueil, nous apprendra à les connaître. Mais une étude approfondie & complète suppose aussi la connaissance exacte des points intermédiaires.
Il est en effet de la plus haute importance, pour la sûreté de nos recherches sur l'histoire des neumes, sur l'authenticité & l'intégrité des mélodies contenues dans les anciens monuments, de suivre avec atten- tion & pas à pas dans les différentes contrées l'évolution lente & pro- gressive des neumes, surtout au moment critique (x*", xi^ & xii^ siècle) où les mélopées liturgiques, conservées jusque-là par l'usage dans la mémoire des chantres & confiées à une séméiographie encore impar- faite, furent enfin, au moyen de la diastématie & de la portée musicale, définitivement garanties contre les dangers de l'oubli & les incertitudes de la notation. Il ne suffit donc pas au paléographe d'avoir à sa dispo- sition quelques manuscrits : il doit en consulter un nombre tel, que tous les anneaux de cette longue chaîne qui va du ix*^ siècle au xviii'^ s'y trouvent représentés. La série des monuments doit être complète, mais il n'est ni possible ni nécessaire, nous le répétons^, que chacun d'eux soit intégralement publié. L'enquête sera suffisante, & elle don- nera un résultat certain;, alors même que nous nous arrêterons à une pièce musicale unique, reproduite sous toutes les formes qu'a successi- vement revêtues la notation dans les différentes églises soit séculières soit monastiques, aux diverses époques de son histoire.
Cette enquête, nous avons voulu la faire aussi vaste & aussi déci- sive que possible : dans ce but nous avons choisi un répons-graduel. Les traits mélodiques plus ou moins prolongés propres à ce genre de
PRÉFACE
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cantilènes offrent à l'observation tous les groupes de neumes, depuis le plus simple jusqu'au plus compliqué : il en résulte plus de facilité pour étudier la nature, les causes des variantes, & pour constater si les alté- rations ou les retranchements de notes ont été aussi nombreux & aussi importants qu'on a cru pouvoir l'affirmer.
Quant à la préférence accordée au graduel Justiis ut palma, elle s'explique aisément : la mélodie de ce répons est à coup sûr une des plus anciennes du répertoire grégorien, & la répétition fréquente de cette mélodie sur des paroles autres que celles du Jiistus permet de la présenter aux lecteurs, alors même que ce répons vient à manquer dans un manuscrit incomplet ou en trop mauvais état pour être photographié. Dans ce cas nous le remplaçons presque toujours par le graduel Domine refugium, qui, dans les antiphonaires anciens, se trouve ordinairement au vingt & unième dimanche après la Pentecôte, ou à la férié sixième après le mercredi des Cendres.
Dans le courant de cette publication, nous ne nous interdirons pas de mêler aux reproductions du Justus ou du Domine refugium, lorsque nous le jugerons utile, quelques planches intéressantes, dans le dessein de compléter le tableau des différentes variétés de notation musicale, ou même d'éclairer les dissertations qui seront publiées sur ces Justus.
Selon notre procédé ordinaire^ nous présentons au lecteur les faits que nous avons recueillis, & de ces faits rapprochés & coordonnés nous tirons les conclusions qui s'imposent. La collection contenue dans le présent volume, jointe à la reproduction de \ Antiphonale Missarum de Saint-Gall, devra servir de base pour des études ultérieures. Avec les paléographes nous poursuivrons nos recherches sur le développement & la classification des neumes ; avec les musicistes nous approfondirons les questions qui sont en ce moment à l'ordre du jour. Ce que disent les anciens traités de musique n'a rien de comparable à la fécondité, à la clarté des renseignements & des instructions qui se dégagent de l'analyse intrinsèque & comparative de cette masse de monuments. La lumière qui en jaillit éclaire toutes les questions : la transformation des neumes-accents, l'introduction des neumes-points, des intervalles, des lignes, des couleurs, des lettres-clefs, l'usage du bémol, du bécarre, des guidons, des barres, enfin tous les éléments constitutifs de la no- tation musicale.
PALEOGRAPHIE MUSICALE
Mais ce qui frappe surtout dans cet ensemble, & ce qui est plus important encore à remarquer, c'est le spectacle si curieux & si in- structif que présentent, au ix'^, au x^, au xi" siècle, les efforts des nota- teurs s'ingéniant sur tous les points à la fois, selon leurs idées person- nelles ou le génie de leur nation, pour remédier à l'insuffisance mélo- dique des neumes-accents. Tous n'ont qu'une seule pensée : traduire clairement & conserver pures de toute altération les cantilènes de saint Grégoire. Les écrivains didactiques, de leur côté, poursuivent le même but. De là les différentes tentatives faites par les Hucbald, les Odon, les Gui, les Hermann Contract, &c., pour améliorer les procédés de représentation graphique des sons.
Nous croyons, pour notre part, que ces efforts ont pleinement réussi; tout concourt à nous confirmer dans cette persuasion. L'universalité des tentatives, la variété des moyens employés, l'évolution lente de la notation qui se poursuit sans aucune interruption, la progression de la diastématie, principe fondamental de ce perfectionnement, qui marche du même pas & amène insensiblement la traduction de plus en plus claire des mélodies; l'identité des résultats, c'est-à-dire l'uniformité étonnante de toutes les versions mélodiques obtenue en même temps, dans tous les pays, au x^ & au xi" siècle, & cela sans entente, comme le prouvent les variantes elles-mêmes & les systèmes les plus divers de notation, par la seule force de la tradition répandue depuis le vif siècle dans le monde catholique : voilà bien, sans contredit, un ensemble de faits qui conduit nécessairement à la conclusion suivante :
L'œuvre musicale de saint Grégoire n'a subi, depuis son origine jusqu'aux premiers monuments neumatiques qui nous la transmettent, aucune atteinte vraiment grave ; & nous possédons réellement & inté- gralement, dans les manuscrits sans lignes & sur lignes, la version au- thentique du réformateur de la musique religieuse (i).
(i) Il va sans dire que nous laissons en dehors de ce courant universel les pièces de la liturgie ambrosienne qui sont communes aux Églises de Rome & de Milan. L'identité des paroles de ces pièces & l'analogie de leur fond mélodique ne doivent pas faire perdre de vue le caraftère individuel du sys- tème musical ambrosien, auquel se rapportent les variétés de ce chant jusque dans ses points de con- Xz£t avec le nôtre. 11 y a là une question archéologique d'un intérêt incontestable, mais dont l'étude, pour le dire en passant, exige beaucoup de circonspeftion, d'analyse & de maturité. Pour la même raison nous laisserons dans leur singulier isolement & leur indépendance bizarre de la tradition grégo-
PRÉFACE 5
Tous ces faits, le lecteur pourra les constater, les vérifier l'un après l'autre par l'étude judicieuse & loyale des planches qui vont être expo- sées sous ses yeux. C'est à ces témoins intègres & irrécusables qu'il faut laisser la parole. Sans doute, nous reprendrons plus tard cette thèse pour la développer, mais nos explications n'ajouteront rien à la
rienne trois manuscrits extrêmement curieux du xii'^ & du xiii° siècle (Vatican, n° 5319, & Archives de Saint-Pierre, n° F. 22, & n° B. 79), les seuls de ce genre que nous ayons rencontrés parmi les do- cuments manuscrits de la liturgie romaine que nous avons réunis & consultés. La plupart des chants en usage dans ces codex ne se rapportent à la tradition ni par l'économie de la distribution de leurs neumes, ni par la suite des intervalles musicaux. Ce ne sont plus ici des variantes ou des altérations qui s'offrent à nous : c'est un chant réellement distinft, aussi loin de l'ambrosien que du grégorien. Néanmoins le fond mélodique est ordinairement emprunté à la cantilène grégorienne : sous les fioritures, les broderies, ou, comme on dit encore, les macbicotages qui la défigurent, on reconnaît le dessin primitif. Ces mélodies semblent dater d'une époque relativement récente, dans laquelle les règles de composition grégorienne commençaient à tomber en désuétude : c'est ce que révèle la manière souvent fautive ou maladroite avec laquelle les paroles sont appliquées à la mu- sique, sans parler des autres indices qu'il serait trop long d'exposer ici.
On le sait, du reste, il est dans le goût des Italiens, avec leur souplesse de voix, d'ajouter volon- tiers des notes d'agrément au fond principal de la mél'odie ; & il en était déjà sans doute autrefois de même. Mais il est curieux de voir un usage quelque peu analogue, bien qu'il n'ait pas laissé de trace dans les manuscrits, exister dans l'Église de Lyon. Là aussi on s'est permis pour le plain-chant l'usage des fioritures dans les intonations & dans les parties que le chantre devait exécuter seul ou à deux. Il n'en est question, il est vrai, que dans un document récent {Mémoire sur une méthode pour noter le plain-chant, par M. l'abbé de Valernod, 175 1, Bibliothèque de l'Académie de Lyon, n° 145, pièce 15=) ; mais l'Église de Lyon s'était toujours si bien mise en garde contre les nouveau- tés, Ecclesia Lugdunensis nescit novitates, qu'un usage de cette nature n'aurait pu s'introduire, même à cette époque, sans être signalé comme une innovation & réprouvé comme tel. Il remontait donc beaucoup plus haut. Faut-il pour cela rattacher historiquement & considérer comme appartenant à la même tradition les superfétations mélodiques de la Vaticane & celles de l'Église de Lyon? Rien ne nous y autorise. Ce que nous voulons simplement conclure de ce rapprochement entre des faits non identiques, mais seulement analogues, c'est qu'ils se concilient très bien les uns & les autres avec la conservation intaéle des mélodies grégoriennes, aussi bien à Lyon & à Rome que partout ailleurs, comme le témoignent tous les manuscrits. Le caraftère particulier des trois manuscrits que nous venons de signaler ne va pas contre l'universalité & la constance de la tradition grégorienne; ici l'exception confirme la règle.
Ces livres exceptionnels contiennent la liturgie romaine avec les fêtes & coutumes particulières à Saint-Pierre du Vatican. On ne peut mettre en doute qu'ils aient servi à l'office divin. Le parche- min jauni & maculé à la marge inférieure de chaque feuillet est une preuve irréfragable de leur usage.
La présence de ce chant à Saint-Pierre implique-t-elle l'oubli & l'abandon de la tradition musi- cale que saint Grégoire lui-même y avait déposée & que ses successeurs ont propagée dans le monde entier? Nullement, car toute l'histoire de cette basilique proteste contre une pareille supposition. Aucune église n'a eu plus de resped pour la tradition. Au reste, il y a, dans les volumes en ques- tion, des pièces musicales qui n'ont subi aucune altération; en outre, la version grégorienne se retrouve très pure dans les manuscrits du xiv= & du xvi" siècle conservés dans les diverses archives de la basilique. Les deux chants ont pu s'y faire entendre simultanément, comme cela se pratique
PALEOGRAPHIE MUSICALE
force démonstrative qui ressort d'elle-même de la voix unanime des manuscrits.
Ce n'est pas tout encore. Cette nouvelle publication pourra permet- tre aussi d'exposer en détail les procédés au moyen desquels on arrive au déchiffrement des neumes-accents & à la restitution d'une phrase grégorienne. Les nombreux fac-similés du répons Justus ut palma ser- viront de base à ces expériences.
Pour nier la possibilité même de cette restauration, on a beaucoup fait valoir les variantes, on a surtout allégué avec complaisance les
encore aujourd'hui dans les églises qui, à certains jours plus solennels, admettent côte à côte le plain-chant & la musique figurée.
Le lefteur nous saura gré de lui fournir dès maintenant un spécimen comparatif des trois ver- sions ambrosienne, grégorienne & vaticane sur le même fond mélodique, en attendant qu'on soit à même de rechercher avec plus de maturité les origines de cette dernière version & d'analyser la nature des singularités systématiques qu'elle présente. Nous choisissons comme terme de comparaison le graduel romain A sumino cœlo, qui, dans la version grégorienne, se chante sur la même mélodie que le répons-graduel /ms/ws ut palma. Dans la liturgie ambrosienne, c'est \epsalmellus du deuxième dimanche de l'Avent. La version vaticane est celle du manuscrit n° 5319 de la bibliothèque Vati- cane. (Cf. pi. 28.)
Version Ambrosienne 1
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PRÉFACE 7
anciens auteurs qui s'en plaignent, & qui signalent souvent des fautes à corriger dans les antiphonaires.
Des variantes & des fautes, il y en a partout & dans tous les ou- vrages ; faut-il s'étonner si, dans un chant qui longtemps s'est transmis par enseignement oral & a été livré à des milliers de copistes, on en rencontre également ?
Mais ces variantes sont-elles aussi nombreuses & aussi graves que le supposent certains écrivains modernes ? les accusations qu'autrefois les théoriciens lançaient contre les praticiens, leurs plaintes au sujet des fautes contenues dans les manuscrits contemporains, sont- elles
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PALÉOGRAPHIE MUSICALE
bien fondées ? en peut-on conclure quelque chose pour juger de l'état réel des mélodies au moyen âge ? & les corrections qu'ils proposent sont-elles toujours bien motivées ?
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PRÉFACE 9
A toutes ces questions les manuscrits répondent avec une autorité & une précision que personne ne pourra récuser. Nous croyons qu'il n'est ni sage ni prudent de s'en rapporter uniquement au texte des auteurs, surtout lorsqu'ils se posent en réformateurs, qu'ils obéissent à l'esprit de système, & qu'ils se contredisent eux-mêmes, comme il arrive souvent. Il n'est pas non plus conforme à la saine critique de réunir indistinctement toutes leurs accusations pour en former un tableau fan- taisiste de l'état d'anarchie où se serait trouvée la musique grégorienne en plein moyen âge.
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Paléographie. II.
lo PALÉOGRAPHIE MUSICALE
Il y a une autre manière plus sûre & plus concluante d'interroger la tradition : elle consiste à recourir précisément à ces manuscrits qui furent l'objet de tant de reproches. Avec le secours de ce témoignage on pourra juger du degré d'importance qu'il convient d'attacher aux récriminations des écrivains d'alors ; on apprendra à contrôler leurs dires, à ramener leurs exagérations à la stricte vérité, & à distinguer avec précision les corrections qui remédient à des altérations réelles de la mélodie, de celles qui ne sont que l'expression de systèmes per- sonnels en désaccord manifeste avec la tradition. C'est avec soin qu'il faut tenir compte des premières ; les secondes au contraire doivent être écartées sans merci (i).
Au reste ces variantes, inévitables même dans les copies les mieux soignées, ces incorrections, si communes au moyen âge dans tous les genres de manuscrits, ne sont pas inutiles à étudier : les éditeurs des œuvres littéraires de l'antiquité savent le secours & les lumières que l'on peut tirer de ces variantes pour la restitution d'un texte. Que de fois aussi on s'en est servi, par exemple, pour déterminer les familles de manuscrits, reconnaître ceux qui ont été copiés les uns sur les autres, choisir les plus parfaits & remonter aux monuments archétypes sur lesquels on doit s'appuyer de préférence ! car dans ces sortes de recher- ches il faut apprécier bien plus la valeur du témoignage que le nombre des témoins.
Les variantes dans le chant rendront aux musicistes les mêmes ser- vices. De plus, nous l'avons déjà insinué, ces variantes sont une preuve manifeste que la transcription sur lignes des mélodies de saint Gré- goire n'est pas l'œuvre d'un pays, d'un monastère, d'un moine qui au- rait pu sciemment ou d'une manière inconsciente altérer les cantilènes primitives dans le sens de son goût personnel, & dont le travail aurait
(i) Il ne sera peut-être pas inutile de rappeler ici que très souvent les anciens notateurs s'évi- taient la peine d'écrire les passages neumatiques sans paroles (vocalises ou jubilits), qui étaient dans toutes les mémoires. Le codex 339 de Saint-Gall contient, on l'a vu, de nombreux exemples de cette manière de faire. On la retrouvera aussi dans les différentes reproductions de la mélodie du Justtis. Ce serait une grave erreur de croire que ces omissions volontaires sont des altérations de la mélodie. Il est d'ailleurs remarquable que bien loin d'augmenter elles diminuent avec les siècles. Les progrès de l'écriture musicale dispensèrent insensiblement les chantres d'exercer leur mémoire, & les copistes se trouvèrent forcés d'écrire la mélodie dans toute son intégrité.
PRÉFACE II
ensuite servi de type, de source nouvelle aux manuscrits postérieurs de tous les pays, ce qui expliquerait l'uniformité de ces manuscrits. Il n'en a pas été ainsi. Unes pour le fond, ces traductions ont cependant entre elles assez de variantes, présentent assez d'incorrections pour qu'on reconnaisse avec évidence qu'elles sont indépendantes les unes des autres. Nous devons par conséquent les considérer comme un écho mul- tiple & varié, mais toujours fidèle, des mille voix qui, dans le monde catholique, chantaient avant & depuis saint Grégoire les suaves inspi- rations musicales de l'Église. C'est la même tradition conservée partout avec des nuances d'interprétation pratique qui n'altèrent pas le fond des mélodies, & répandue par des moyens de transmission écrite dont la variété même, nous venons de le dire, est une garantie de fidélité.
Nous allons plus loin. Si les manuscrits sur lignes à partir du xi" & du xii^ siècle étaient, ainsi qu'on l'affirme gratuitement, des copies d'un même exemplaire, de celui de Gui d'Arezzo par exemple, on s'en apercevrait à la nature même des variantes, qui toutes décèleraient l'œuvre de copistes transcrivant de la musique sur lignes ; elles ne remonteraient pas au delà du xi^ & du xii^ siècle, & les manuscrits chi- ronomiques n'en offriraient aucune trace.
Or il en est tout autrement, comme le prouvent la nature de ces variantes & l'époque même de leur apparition.
Antérieures en effet à toute espèce de transcription diastématique , elles apparaissent dans les monuments de notation purement chirono- mique ou sans lignes ; on peut même affirmer sans témérité de plusieurs qu'elles ont existé avant les manuscrits parvenus jusqu'à nous. Fait capital, qui nous oblige à remonter au delà des siècles guidoniens : ces divergences ont pour point de départ une erreur de mémoire, une première réminiscence fautive, qui n'a certainement pas pu se pro- duire aux temps de la notation claire & fixe de la diastématie : celui qui chante de mémoire se prend facilement à confondre deux passages mélodiques analogues, comme il lui arrive de glisser de l'un à l'autre : l'erreur prend ainsi naissance. De la mémoire & de la pratique, cette erreur passe sur le parchemin d'abord au moyen des neumes-accents, elle se conserve dans l'église particulière où elle s'est produite, elle se répand quelquefois aux alentours, & naturellement persévère dans la
12 PALÉOGRAPHIE MUSICALE
lignée plus ou moins nombreuse des manuscrits sur lignes sortis de cette souche ; cependant partout ailleurs la tradition générale des égli- ses garde la version primitive. Une autre église, un monastère vient-il à s'égarer sur un autre point : nouveau désaccord avec la voix universelle de la chrétienté, nouvelle variante qui trouve successivement son ex- pression graphique dans les accents & les points neumatiques.
En résumé, l'aspect général des manuscrits antérieurs à la portée est donc celui-ci : d'une part, uniformité assez grande pour que l'unité primitive subsiste & soit incontestable ; de l'autre, variétés assez sensi- bles pour que, dans le grand fleuve de la tradition grégorienne, on puisse suivre à la trace certains courants mélodiques, qui par des dé- tails accidentels se distinguent du fond commun. Viennent maintenant les différentes transformations diastématiques de la notation telles qu'elles se sont produites au xii", au xi% & même au x" siècle : rien dans le chant ne sera modifié , du moins par le fait de ces transformations ; pour la cantilène, les changements dans les procédés de notation de- meurent extrinsèques ; la tradition suit son cours , gardant par des moyens de transmission plus parfaits les mêmes chants, les mêmes rythmes & aussi les mêmes variantes locales ou régionales.
Les considérations qui précèdent font aussi comprendre comment ces variantes ne constituent pas un obstacle sérieux à la restitution de la phrase même de saint Grégoire. Il suffit pour la reconnaître parmi ces variantes de faire entre elles le choix convenable en appliquant les lois ordinaires de la critique, notamment cette loi fondamentale for- mulée par dom Guéranger & si souvent citée : « Lorsque des manu- scrits différents d'époques & de pays s'accordent sur une version, on peut affirmer qu'on a retrouvé la phrase grégorienne. » Du reste, nous ne craignons pas de le dire, cette sélection est plus facile à faire au xix^ siècle qu'elle ne l'était au xi^ & au xif. Nous connaissons le pro- cédé qu'on employait alors; il n'était rien moins que sûr, rien moins que scientifique. Lorsqu'on se trouvait en présence d'erreurs, de diver- gences dans les leçons mélodiques, on interrogeait les maîtres de chant, Trudo, Salomon, Albin (i), & chacun corrigeait d'après leur autorité
(i) Jean Cotton, Musica (Gerbert, II, p. 258) : « Dicat namque unus : Hoc modo magister
PRÉFACE ij
personnelle. De là des variantes nouvelles, puis des conflits qui allaient se multipliant, & qu'on ne pouvait arrêter.
Plus heureux aujourd'hui, nous possédons un critérium en quelque sorte infaillible pour discerner la tradition. Par la confrontation des manuscrits nous pouvons aisément la distinguer de toutes les altéra- tions, erreurs, suppressions & superfétations qui se sont glissées dans le chant liturgique pendant les longs siècles de son existence.
Si le travail est long & minutieux, la méthode est très simple & très sûre : elle n'est pas autre que celle qui préside aux travaux préli- minaires par lesquels on établit les textes des anciens auteurs avant d'en publier les éditions. Recueillir les manuscrits, les classer au moyen des écritures, des variantes, des lacunes; les déchiffrer, reconnaître dans chaque classe les types les plus anciens & les meilleurs ; choisir les leçons les plus autorisées en s'aidant du contexte, en tenant compte du génie de la langue & des habitudes personnelles de l'auteur, enfin restituer par tous ces moyens les passages altérés, voilà la tâche qui incombe à tout éditeur. Or tout cela est possible aussi bien pour l'œu- vre musicale de saint Grégoire que pour son œuvre littéraire ; les expé- riences & les études variées auxquelles nous soumettrons ces Justus en fourniront la preuve. Les lecteurs de la Paléographie y trouveront en même temps la garantie de la restitution déjà faite des autres pièces du répertoire grégorien pour lesquelles nous ne pouvons songer à leur offrir ici les mêmes moyens de confrontation.
Cette restitution est surtout un travail de patience, dont il ne faut pas s'exagérer les difficultés. L'identité des cantilènes au milieu d'écri- tures si variées & leur conservation jusque dans les monuments du xvii" siècle & même jusqu'à certains imprimés plus récents facilitent singulièrement la collation des manuscrits. Ces deux circonstances dispensent d'une enquête aussi vaste que celle que nous entreprenons pour le répons-graduel Justus : il suffit en effet, pour retrouver avec certitude la phrase grégorienne, d'avoir à sa portée quelques bons
Trudo me docuit ; subjungit alius : Ego autem sic a magistro Albino didici ; ad hoc tertius : Certe magister Salomon longe aliter cantat. Et ne te longis morer ambagibus, raro très in une concordant, nedum mille, quia nimirum dum quisque suum profert magistrum, tôt sunt divisiones canendi, quot sunt in mundo magistri. »
14 PALÉOGRAPHIE MUSICALE
antiphonaires des ix^, x", & xi'^ siècles, notés en neumes-accents & de différentes régions, auxquels on doit joindre, comme traduction des premiers, quelques exemplaires diastématiques ou alphabétiques du xi^ ou du xii^ siècle provenant également de sources différentes.
Beaucoup de manuscrits postérieurs à cette époque peuvent être aussi d'une grande utilité ; car la décadence du chant grégorien n'a été ni aussi rapide ni aussi radicale qu'on le croit d'ordinaire. Dans l'histoire de cette décadence il faut distinguer deux éléments qui n'ont pas marché du même pas : la mélodie, c'est-à-dire la succession & le nombre des notes, & le rythme.
La mélodie s'est généralement bien conservée, on peut même dire que jamais elle n'a été perdue dans l'Eglise. Elle reste encore très pure dans les livres imprimés de beaucoup d'églises , dans les livres des ordres religieux bénédictin, cistercien, chartreux, dominicain, fran- ciscain, &c., avec quelques variantes propres à chacun de ces anciens ordres. On a remarqué que l'édition princeps de certains ouvrages est aussi importante que les manuscrits. Cette observation peut s'appliquer aux premières éditions du chant liturgique : quelques-unes d'entre elles reproduisent la note grégorienne avec une telle exactitude qu'il est à peine besoin de quelques corrections pour les ramener à la pureté pri- mitive ; & si, par impossible, les documents antérieurs venaient à dis- paraître, on aurait encore, dans ces livres, le répertoire musical ecclé- siastique dans son intégrité à peu près complète.
Quant aux manuscrits, cette année même (1890), deux bénédictins de Solesmes envoyés à Rome & dans toute l'Italie pour rechercher dans les bibliothèques les livres du chant sacré ont vu & chanté, sur les pupitres des basiliques, des cathédrales, des monastères & d'un grand nombre d'églises de moindre importance, les mélodies traditionnelles écrites aux xv^, xvi^ & xvii^ siècles, dans de nombreux volumes magnifi- quement enluminés. L'un de ces livres de chœur, daté de l'an i6p (ce n'est pas le seul du xvii^ siècle), n'est pas le moins fidèle. Il y a vingt ans il servait encore à l'office divin dans l'église Sainte-Croix de Jérusalem à Rome ; aujourd'hui, hélas ! il fait partie du fonds Sesso- rien de la bibliothèque qu'on a appelée nationale, où il porte le nu- méro ^45.
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Le répons-graduel Justus de ce manuscrit est reproduit dans la planche ji du présent recueil. Si Ton compare les grosses notes car- rées de cette pièce musicale avec les neumes fins & déliés du même morceau dans le graduel de Monza (c. 12. 75) (pi. 4), on est frappé de la concordance qui existe entre ces deux exemplaires. Sept siècles les séparent : à peine si Ton peut découvrir quelques divergences que tout archéologue musicien peut rectifier comme en se jouant. (Cf. infra.)
Certes, on peut écrire de longs articles & de gros volumes pour prouver qu'il est impossible de retrouver la phrase grégorienne ; mais des affirmations gratuites, des sophismes aux couleurs plus ou moins scientifiques ne prévaudront jamais contre la claire & forte démonstra- tion qui résulte de tels faits.
Monza. C. 12. 75. X« siècle.
Rome.
Bibl. nat. Sess. 543
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i6 PALÉOGRAPHIE MUSICALE
Une pareille conformité entre des monuments d'époques si diffé- rentes, jointe aux preuves que nous avons données plus haut, suffit bien, ce nous semble, à rassurer les plus timides sur la lacune de deux siè- cles qui sépare saint Grégoire de nos plus anciens manuscrits. Si pen- dant huit siècles, & malgré les assauts terribles qu'il a eu à subir tour à tour & des lapsus ou des caprices des notateurs, & des mensuralistes, & des soi-disant réformateurs ou correcteurs, le chant du grand pape a pu traverser aussi indemne une époque qui ne fut en somme qu'une longue décadence, comment pourrions-nous craindre que la mélopée grégorienne ait pu se perdre ou s'altérer dans un laps de temps relati- vement si court? alors surtout qu'elle était dans sa première jeunesse, alors que les églises l'acceptaient avec respect, qu'elle était présente à toutes les mémoires & que, par les anneaux ininterrompus de la tradi- tion, on pouvait presque remonter, par ses disciples immédiats, aux enseignements du pontife lui-même.
Le rythme naturel aux mélodies grégoriennes s'est modifié, lui, plus rapidement, & a fini par disparaître. Nous n'avons pas ici à rappeler les causes historiques de cette décadence. Quand les auteurs anciens & l'histoire de la musique ne nous en diraient rien, les manuscrits suffi- raient pour en retracer les phases. L'introduction de barres innombra- bles traversant la portée entre les neumes & dans l'intérieur des grou- pes, la désagrégation des ligatures, le groupement arbitraire des notes, sont les symptômes les plus ordinaires de l'oubli des règles tradition- nelles d'exécution. Ces symptômes apparaissent diversement : ici ils sont plus précoces, là plus tardifs. On trouvera même dans les bas siècles des livres liturgiques presque irréprochables sous ce rapport. Les altérations rythmiques, nous le verrons, sont encore plus faciles à corriger, à l'aide des anciens manuscrits, que les altérations mélodiques.
Tels sont, en résumé, les avantages de cette publication des Justus. Il était nécessaire qu'une fois au moins le public éclairé fût mis à même, dans la plus large mesure possible, de juger les questions relatives au chant grégorien : notation, conservation & transmission fidèle jusqu'à nos jours. Nous avons la pleine confiance que l'épreuve sera décisive & produira chez tout esprit non prévenu la conviction que l'Eglise possède encore aujourd'hui l'œuvre musicale de saint Grégoire. Ce sera
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le creuset d'où ces mélodies sacrées sortiront victorieuses, rajeunies, purifiées, telles que l'Eglise les a reçues du cœur & des lèvres de « l'incomparable pontife ».
Il reste à dire un mot du plan que nous avons adopté pour le clas- sement de nos nombreux fac-similés.
Entre tous les divers modes qui s'offraient à nous pour réaliser cette opération, notre choix s'est porté sur la distribution par pays, parce qu'elle est la plus naturelle & parce qu'elle facilite à la fois l'intelli- gence du développement historique des neumes & l'étude des variantes. L'Italie, la France, l'Aquitaine, la Belgique, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne, auront donc chacune leur série.
Il sera loisible aux travailleurs de faire toute autre classification qu'ils trouveraient préférable ; c'est précisément dans le but de leur rendre commode la comparaison des écritures, que toutes les reproduc- tions du présent volume seront publiées par planches détachées.
Si naturelle que paraisse cette distribution, elle ne laisse pas cepen- dant de présenter des difficultés. Elles sont même inévitables, car les variétés de notation employées dans un même pays, l'influence réci- proque qu'elles exercent l'une sur l'autre, les formes mixtes & indécises qu'elles produisent en se compénétrant, l'état de transition & de trans- formation continue des types neumatiques, & jusqu'aux fantaisies des copistes, tout rend cette classification fort complexe.
En conséquence il a été nécessaire d'adopter des subdivisions qui parfois ne paraîtront pas très tranchées.
Les changements de série & de subdivision seront indiqués par les modifications mêmes des écritures : souvent ils seront signalés par une courte légende mise au bas des planches.
Chacune des grandes séries régionales débute par les neumes- accents & se poursuit, dans un ordre chronologique à peu près rigou- reux, jusqu'au moment où les types neumatiques représentés par une série ou une subdivision viennent à disparaître subitement, ou à se perdre dans une forme plus récente qui en dérive par voie de filiation ordinaire.
C'est par les manuscrits italiens que nous ouvrons notre collection.
Paléographie. II. 3
i8 PALÉOGRAPHIE MUSICALE
Nous leur avons fait une part bien large, & ils ont droit à cet hon- neur. C'est de Rome, en effet, mère & maîtresse de toutes les églises, que les cantilènes de saint Grégoire sont parties pour se répandre sur le monde. Cette série se compose de 79 planches comprenant des re- productions empruntées à autant de manuscrits du viii^ au xvii^ siècle, tous de provenance italienne.
Mais pour mettre notre plan dans tout son jour, il sera bon d'expli- quer ici brièvement l'ordonnance & les subdivisions de ces fac-similés.
Pour servir d'introduction à la collection tout entière, nous avons placé en tête trois photographies de manuscrits sans neumes, mais qui néanmoins se rattachent étroitement à la musique liturgique.
C'est d'abord l'image du roi David, l'auteur inspiré des paroles qui servent de base à la plupart des chants liturgiques. Il est tout entier à la louange divine ; plusieurs musiciens l'entourent & l'accompagnent de divers instruments.
Après avoir rendu hommage au roi psalmiste, il était juste d'ap- porter ensuite notre tribut d'honneur, surtout en l'année de son cente- naire, au grand pape qui a recueilli, mis en ordre & complété ces chants admirables de la liturgie romaine. Pour n'être pas, à l'égal des psaumes de David, le fruit de l'inspiration divine proprement dite, ces mélodies sacrées ne laissent pas d'avoir mérité la vénération religieuse & d'avoir été traitées comme l'héritage saint & sacré des pères, comme le don du Seigneur à son Église. C'est pourquoi nous donnons à la planche 2 l'image déjà connue de saint Grégoire dictant des neumes (i), d'après un antiphonaire manuscrit conservé à la bibliothèque de Saint- Gall sous le numéro ^90.
La planche suivante reproduit un éloge en vers hexamètres du même saint Grégoire & de son œuvre musicale, emprunté à un célèbre ma- nuscrit du viii^ siècle (2).
(i) Malheureusement cette planche n'a pas la netteté ordinaire que la phototypie donne à nos reproduftions, & c'est à peine s'il reste ici quelque trace des neumes qui dans l'original se distin- guent sans trop d'effort.
(2) Ce manuscrit, petit in-folio, contient divers écrits de mains & d'époques différentes, mais tous, au jugement de M. l'abbé Duchesne, qui a étudié ce document & en a utilisé une partie pour son édition du Liber Pontificalis, à peu près contemporains, & remontant soit au viii= siècle, comme la page que nous reproduisons, soit au commencement du ix=. Ce même manuscrit avait été déjà décrit
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A ces trois planches succède la série des manuscrits neumatiques italiens. En voici les subdivisions.
Tout d'abord nous prenons à sa source le principal courant des neumes-accents. 11 nous conduit jusqu'au xii'^ siècle. (PI. 4 a 9.) Nous
& analysé par Mansi dans la Raccolta de Calogera (t. XLV, p. 76 & suiv. ), &, avant Mansi, men- tionné par dom Mabillon au tome I de son Musceum Italicum (part. I, p. 189). M. Duchesne renvoie aussi à Bethmann {Arcbiv. t. XII, p. 704), & à Ewald (Neues Archiv. t. III, p. 342).
La présence du Gregorius prœsul dans ce célèbre monument contemporain de Charlemagne a été signalée par Mansi lui-même, au paragraphe xii de sa dissertation (p. 97), par M. Duchesne au chapitre V de son introdu6tion au Liber Pontificalis (p. clxv), & enfin tout récemment par le R. P. Grisar, S. J. *, qui dans un article spécial ** donne le texte en entier. Ce texte avait été déjà publié en 1789 par Eugène de Lévis dans ses Anecdota sacra (p. 32) d'après un manuscrit, aujour- d'hui perdu , appartenant alors au monastère de Saint-Michel de Locedio. Le R. P. Grisar donne les variantes des deux manuscrits & propose la leçon d'après lui la meilleure en s'aidant de quelques conjeftures pour les passages restés malgré tout problématiques, mais sans assez tenir compte, nous semble-t-il, des conditions du mètre que l'auteur a employé & dû vouloir respecter, au moins dans ce qu'il a de plus essentiel.
Ni l'un ni l'autre de ces deux documents ne peut être regardé comme l'original : quoique très anciens, ils dérivent l'un & l'autre d'une source plus ancienne encore, puisque nous constatons aussi bien dans le texte de Lucques que dans celui de Locedio plusieurs variantes & même des incorrections qui non seulement détruisent le mètre, mais aussi en plusieurs endroits le sens de la phrase, & trahissent ainsi la main d'un copiste.
II n'est pas rare de voir les anciens, surtout à certaines époques plus classiques, placer en tête des ouvrages qu'ils rééditent une préface ou dédicace à l'auteur, soit en prose, soit plus souvent en vers, & nous ne devons pas nous étonner de rencontrer l'Antiphonaire grégorien honoré de cette sorte dans de nombreux exemplaires.
Cette préface à l'Antiphonaire se présente sous deux formes différentes, tantôt sous une forme purement littéraire comme pour un ouvrage quelconque, tantôt sous une forme musicale, c'est-à-dire sous la forme d'une antienne destinée à être chantée comme prélude à la première pièce mélodique du